Que retenir des États Généraux du Livre ? Déjà, que la salle était comble. Il y a eu un peu de langue de bois, mais beaucoup de moments de vérité. Ce fut très dense, très riche, et il faudra bien sûr que tous ceux qui n’ont pu être là regardent les vidéos ou lisent les transcriptions des débats dès qu’elles seront publiées. Une chose est certaine : c’est un moment historique pour les auteurs en France. Pour le pire et le meilleur.
Mot clef : le mépris
En apprenant qu’aucun membre du gouvernement n’avait accepté l’invitation des auteurs à venir répondre à leurs questionnements lors des États Généraux du Livre, #payetonauteur avait lancé la compagne politique de la chaise vide sur les réseaux sociaux. Les EGL ont traduit cela sur la scène en mettant cinq chaises vides pour le président de la République, le premier ministre, la ministre de la culture, le ministre de l’économie et des finances et la ministre des solidarités et de la santé. Espérons que le message sera passé dans les ministères : les auteurs n’acceptent plus d’être méprisés.
Plusieurs fois, ce mot de mépris est revenu dans la bouche des intervenants. L’accumulation de promesses non tenues, de non concertation et d’incompétence de la part des pouvoirs publics ne passent plus.
2019, année de tous les dangers
Après, force est de constater que c’est sans doute toute la culture qui est en train de subir ce mépris. Les organisations d‘auteurs l’ont compris depuis longtemps, mais cette fois-ci c’est l’ensemble des présents et tous ceux qui verront la vidéo de l’événement qui pourront le constater : le ministère de la culture semble incapable aujourd’hui de défendre correctement les auteurs face à ceux de l’économie et de des affaires sociales.
De fait, ces autres ministères semblent n’avoir aucune expertise sur les spécificités des métiers des auteurs et des artistes, et semblent réformer sur de grands principes sans faire la moindre consultation ou étude d’impact. Et même quand les organisations d‘auteurs leur signalent les problèmes, elles font face soit à du mépris, soit à une sorte d’impossibilité à comprendre. Cette dernière était particulièrement visible quand la salle essaya d’expliquer en vain à Olivier Trébosc, du Ministère des Finances, en quoi le prélèvement à la source mensualisé est incompatible avec la vie réelle des auteurs.
La réforme des impôts 2019 : les auteurs piégés.
En 2019, les auteurs payeront comme le reste de la population, leurs impôts sur les revenus de l’année en cours, et non sur ceux de l’année précédente comme aujourd’hui. Pour les salariés, c’est relativement simple, ces impôts seront prélevés directement par leur employeur sur leur salaire. Mais pour les auteur, l’État n’a pas trouvé de moyen de le faire. Donc il va mensualiser les impôts sur la base d’une estimation : les revenus de l’année précédente. La plupart des auteurs ayant des revenus aléatoires, cela risque de tourner vite à la catastrophe. Un auteur pourra proposer une réévaluation de cette mensualisation à la baisse, mais s’il se trompe de plus de 10% en évaluant ses revenus annuels à venir, il aura des pénalités à payer !
Or il est quasi impossible à un auteur de prévoir ses revenus annuels : rien que ses droits d’auteurs dépendent des ventes de ses livres à venir, qu’il ne connaît pas encore, de ceux déjà sortis pour lequel il n’a la plupart du temps qu’un seul relevé de vente par an. S’y ajoute l’aléa des revenus connexes, interventions, petits travaux divers, bourse éventuelle… sans parler simplement de sa santé ou de son inspiration…
Prenons un exemple précis. Un auteur fait une année exceptionnelle avec 24 000 € de revenus brut grâce à une meilleure vente que prévu de sa nouveauté. L’année suivante, il est imposé comme s’il allait gagner 2 000 € par mois. Mais il ne les gagne pas, ses revenus sont redescendus à ses 800 € mensuels habituels. Il ne peut évidemment pas du tout payer des impôts alors qu’il est en train de repasser sous le seuil de pauvreté. Il décide donc de demander à l’administration fiscale de calculer son prélèvement mensuel sur un revenu annuel de 12 000 €, pour avoir une petite marge en cas de bonne nouvelle. Mais au mois de juillet, il a la fois la bonne surprise d’avoir un très beau relevé de ventes et de signer un meilleur contrat pour son prochain livre. En fin d’année, il a gagné finalement 20 000 €, soit 8 000 € de plus que ce qu’il avait prévu et négocié avec l’administration fiscale. Et, malgré son honnêteté, il va devoir payer des pénalités.
Résumons : un auteur devra soit 1) payer des impôts mensuels impossibles à payer s’il a une sévère chute de revenu entre deux années, soit 2) prendre le risque, s’il évalue mal ses revenus à venir, de payer des pénalités. Alors que, de fait, à cause de l’imprévisibilité de son métier comme de l’édition, il lui est impossible de prévoir ses revenus à venir. Magnifique choix que lui offre l’État : se ruiner en payant des impôts ou se faire sanctionner financièrement par l’administration fiscale.
C’est évidemment injuste et inacceptable. Il est urgent que les pouvoirs publics trouvent une solution pour que les auteurs ne soient pas pris entre le marteau et l’enclume.
Côté social, les débats sont aussi revenus sur la compensation de la CSG obtenue au forceps par les auteurs pour 2018. Aucune réponse n’a vraiment été apportée au sujet de comment les centaines de milliers d’auteurs non affiliés AGESSA-MDA seront pris en compte, pas plus que sur ce qui sera fait à partir de 2019.
Séquence épique : le directeur de l’AGESSA n’a pas pu cacher un certain désarroi par rapport à la réforme que l’État a imposé à son organisme. Il a annoncé qu’il l’avait apprise par email, et que ses salariés l’avaient apprise, eux, par hasard. Il a annoncé que sur la centaine de salariés de l’AGESSA, seuls 20 resteraient en 2019. Ce qui donne une idée du peu de missions qui restera à l’AGESSA. Sans doute l’action sociale, peut-être un guichet relais, mais ce n’est même pas sûr. Un démantèlement très inquiétant quand on voit les difficultés de tous les services de l’État à comprendre les spécificités des métiers d’artistes et d’auteurs. C’est une expertise à leur service qui va disparaître, et on peut craindre qu’une URSAFF généraliste ne fasse beaucoup de dégâts par ignorance.
Il a aussi été discuté de l’évolution de la circulaire sur les droits connexes, comme les interventions en école, ou les lectures. Il y a un consensus pour l’élargir, vue l’évolution des pratiques et des sources de revenus des auteurs. Malgré ce consensus, rien n’arrive à avancer.
Dans son allocution, Martin Ajdari, qui en tant que directeur général de la DGMIC (Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles) représentait la Ministre de la Culture a réitéré les promesses obtenues lors du rendez-vous du jeudi précédent avec Françoise Nyssen. Une mission a été confiée aux inspections générales des affaires culturelles et des affaires sociales. Ces points sociaux seront aussi au planning de la réunion organisée le 21 juin entre l’ensemble des organisations d’artistes auteurs avec l’ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), la Direction de la Sécurité Sociale et les services du Ministère de la Culture.
Nicolas Georges, directeur adjoint de la DGMIC pour le Livre et la Lecture, a admis qu’en effet beaucoup de temps avait été perdu, que la bonne volonté du ministère de la culture n’avait pas servi à grand-chose et que les concertations qui avait été promises pour tout cela depuis 2011 et 2013 n’avaient jamais été concrétisées. Il ne reste que 7 mois avant l’échéance 2019 et il va falloir maintenant faire cette concertation dans une grande urgence.
Il a été demandé si une partie des réformes ne pouvait pas être repoussée d’un an, le temps de faire cela sérieusement. Mais cela semble quasi impossible. C’est donc le couteau sous la gorge que tout cela va se passer. C’est à l’État d’organiser cela avec le plus grand sérieux maintenant. Et de ne pas oublier que ce sont les organisations d’auteurs qui ont l’expertise sur ces sujets, comme l’a reconnu, entre autres, Frédérique Dumas, vice-présidente de la commission des affaires culturelles à l’Assemblée Nationale.
Construire l’avenir
La question de l’avenir du statut de l’auteur a été le sujet d’une dernière table ronde. Vincent Montagne, président du SNE, le syndicat des éditeurs, s’est montré inquiet de la précarisation des auteurs, mais un peu désemparé, vue la surproduction, sur les solutions à y apporter.
Corinna Gepner (ATLF) et Marc-Antoine Boidin (SNAC BD) sont revenus sur les inquiétudes déjà exprimées par Nicolas Georges quant à vouloir améliorer le statut social de l’auteur au moment où on essaye d’empêcher qu’il se détériore sous la poussée normative de l’État. La disparition qui semble inéluctable des caisses de sécurité sociale spécifiques comme l’AGESSA est en soit assez signifiante du risque de démantèlement du statut existant.
Vincent Monadé (CNL) et Marie Sellier (SGDL) ont parlé de sources de financement possibles. Il y en a deux que les auteurs défendent depuis longtemps :
– La taxe dite « Hugo » sur les livres du domaine public. 70 ans après la mort d’un auteur, n’importe qui peut éditer le livre sans verser de droits. Et si ces droits d’auteurs, ou au moins une partie, étaient maintenus pour aller alimenter la protection sociale des auteurs vivants ?
– La taxe sur les livres d’occasion. Avec le développement des plateformes de commerce numérique de plus en plus de livres sont revendus sur le marché de la seconde main. Il faudrait créer une sorte de « droit de suite », au moins sur les plateformes numériques, afin que ces livres continuent de nourrir les créateurs.
Vincent Monadé a évoqué d’autres pistes : ne serait-il pas possible de regarder du côté des 5% de réduction autorisée sur le prix unique du livre, mais aussi de la TVA, déjà réduite à 5,5%, mais qui pourrait être abaissée jusqu’à 2,1%. Il y a des réserves de valeur à redistribuer aux auteurs de ce côté-là. Il a enfin confirmé travailler sur un fond de 9 millions d’euros supplémentaire au CNL pour les auteurs, via les bourses et les résidences (qui deviendraient cumulables). Avec la nécessité pour le CNL de mieux faire connaître aux auteurs ses aides.
Samantha Bailly, présidente de la Charte, a dit qu’il allait falloir s’inspirer de ce qui avait fonctionné pour les auteurs à l’étranger. Elle a su faire rêver les auteurs de la salle en parlant du modèle allemand où le développement des agents d’auteurs et un solide statut professionnel ont provoqué la multiplication par quatre de leurs revenus en dix ans !
La mobilisation paye
C’est formidable de voir les organisations d’auteurs réunies. Ensemble, elles sont enfin en train de réussir à imposer leurs problématiques au gouvernement. Sans ces États Généraux du Livre et la campagne que #payetonauteur a organisée la semaine d’avant autour de l’image de la chaise vide, il est à peu près sûr que la puissance publique aurait continué à réformer le statut social et fiscal des auteurs et artistes sans consulter les premiers concernés.
Il est important que tout le monde ait pu constater de visu à quoi se heurtent les organisations d’auteurs au quotidien. Et il est évident qu’il va falloir que les auteurs et les lecteurs continuent de se mobiliser, en particulier sur les réseaux sociaux, pour obtenir enfin que les auteurs soient protégés plutôt que maltraités par l‘État.
2019 est l’année de tous les dangers. Mais comme le rappelait Denis Bajram pour #payetonauteur en fin de session, la colère des auteurs et des artistes pourrait bien remplir les réseaux sociaux de dessins et de textes contre ce gouvernement. Car il y a une chose que les auteurs savent faire : écrire, dessiner et chanter leur colère.
Avec un grand merci à tous les intervenants qu’il a été impossible de citer ici vue la densité des débats. En particulier Pascal Ory, le président du CPE, les modérateurs Geoffroy Pelletier (SGDL), Emmanuel de Rengervé (SNAC) et Nicolas Garry (Actuallité) et bien sûr les auteurs et autrices Jean-Rouaud, Cy, Guillaume Lanneau (SAIF et SNAP-CGT), Angella Mori, Pierre Pradié, Guillaume Nail (Charte), Benoit Peeters (SCAM et EGBD), Cécile Coulon et Carole Zelberg. Merci évidemment à tous ceux qui ont pris la parole dans la salle.
Merci à Nicolas Digard pour toutes les photos de cet article.